jeudi 31 janvier 2008

La Société de Port-Royal, suite de l'histoire

Je vous avais laissé, il y a quelques jours, aux portes de la Révolution.

Il n'y avait pas de Société bien définie, juste des groupes gérant des fonds destinés aux œuvres jansénistes. Nous allons voir ce soir que la Révolution, si elle a été source de troubles et de divisions chez les jansénistes, a paradoxalement permis à une véritable société de voir le jour.

La Révolution française pose globalement deux problèmes majeurs aux jansénistes (comme a la plupart des français de l'époque). Le premier est celui de la forme du pouvoir. Un problème politique, donc. Le second est d'ordre religieux, et se concentre sur la Constitution Civile du Clergé.

En théorie, la monarchie française étant de droit divin, les deux problèmes sont intimement liés et on ne peut concevoir un régime qui ne soit intrinsèquement catholique et lié au Pape.
Mais le XVIIIe siècle est passé par là, avec son début de réflexion sur la séparation des pouvoirs et une relative laïcisation de la fonction politique.

Pour nos jansénistes, les choses sont un peu spéciales : depuis plus de cent ans, ils sont à la fois persécutés par le pouvoir royal et par les autorités religieuses. Ils ont donc développé un certain nombre de réflexions qui en font, non pas des révolutionnaires, mais pour le moins des critiques acerbes de la monarchie et de la papauté.

On retrouve très souvent aux côtés des jansénistes les parlementaires du XVIIIe siècle. Ceux-ci s'opposent régulièrement au roi, non pas comme on le dit souvent pour défendre le peuple, mais pour combattre l'absolutisme royal. Il y a une sorte de front uni entre jansénistes et parlementaires pour s'opposer systématiquement au roi et à ses ministres. Lorsque les jansénistes sont attaqués, bien souvent les parlementaires les défendent. Un certain nombre de jansénistes sont donc plutôt heureux, au départ, du tour que prend la Révolution. Elle leur semble être une salutaire remise à plat de la fonction monarchique et correspond bien à la tendance richériste qui est assez importante dans le milieu janséniste.

Le richérisme est une doctrine ecclésiologique (donc touchant à l'organisation de l'Église) qui déclare que le Pape est soumis, en terme d'autorité temporelle et dogmatique, au Concile, donc à l'ensemble des évêques représentant le peuple chrétien. Cette vision, qui se revendique des débuts de l'Église, est réactivée à partir du XVIIe siècle pour faire pendant aux tendances monarchiques des papes. Ceux-ci font en effet évoluer de plus en plus l'Église vers une monarchie où le pape aurait autorité sur l'ensemble des questions, temporelles et spirituelles. N'oublions pas qu'à cette époque le dogme de l'infaillibilité pontificale n'a pas encore été proclamé. Cette notion d'infaillibilité, qui se répand de plus en plus, est très mal acceptée par un certain nombre de membres du clergé, dont les jansénistes.

Cette digression est importante pour comprendre l'attitude des jansénistes sous la Révolution. En effet, si la plupart d'entre eux accepte sans problème les débuts de la Révolution, c'est justement au nom de ces conceptions richéristes. En essayant de ne pas faire d'anachronisme, on pourrait dire que les jansénistes sont favorables à une certaine dose de démocratie dans la vie politique et religieuse. On trouve d'ailleurs de nombreux députés jansénisants au début de la Révolution, comme Lanjuinais, Grégoire et bien d'autres.

Dans un deuxième temps arrive le problème de la Constitution Civile du Clergé. Cette constitution vise à faire des prêtres des citoyens au service de la Nation, et à leur faire jurer fidélité au nouveau régime. La majorité des prêtres jansénisants prête ce serment, qui va très bien avec leur conception gallicane de l'Église. Mais, après de longs mois d'attente, le Pape condamne ce serment. Cela va faire réfléchir un certain nombre de jansénistes. Certains se rétractent, comprenant qu'en persistant dans leur serment, ils se coupent du Pape. D'autres, comme l'abbé Grégoire, non seulement ne renient pas leur serment, mais mettent en place une véritable Église nationale.

Cette Église fonctionne de 1791 à 1801. Elle est très mal connue, et très décriée. Pourtant, elle va faire l'expérience réelle du richérisme et du gallicanisme. Elle tient deux conciles nationaux, en 1797 et en 1801. Elle élit ses prêtres, ses évêques, fonctionne en totale autonomie et n'hésite pas à s'élever contre la déchristianisation à l'œuvre pendant la Terreur. Ses membres, les prêtres "constitutionnels" ou "jureurs", sont assez mal vus dans l'historiographie. Ils sont souvent comparés aux prêtres qui ont jeté leur soutane aux orties et ont profité de la Révolution pour se marier. Or il n'en est rien, ce sont des prêtres d'une grande foi et souvent d'une grande qualité. Simplement, ils ont choisi la Révolution, et sont souvent républicains. Les têtes pensantes de cette Église gallicane sont presque tous jansénisants. Ils se regroupent dans la Société Libre de Philosophie chrétienne, dont j'ai parlé à propos de Grégoire. Derrière eux, une bonne partie de la société janséniste parisienne les suit.

Ils sont bien sûr horrifiés des excès de la Révolution, mais restent pendant toute la Révolution à Paris.

Il y a bien sûr des jansénistes qui n'ont pas suivi ce mouvement. Certains, curieusement, sont devenus tout d'un coup des ultra-royalistes, voyant dans la Révolution une manifestation de l'Antéchrist, une sorte de punition divine. C'est le cas, par exemple, de Louis Silvy. Il se cache pendant une partie de la Révolution, et sera ensuite un fervent partisan de la Restauration. Ces jansénistes royalistes et anticonstitutionnels sont farouchement opposés à leurs anciens confrères.

Pour ce qui est de l'argent qui se transmettait pendant le XVIIIe siècle, la Révolution va être un moment fondateur : la plupart des tontines sont désorganisées, bien souvent les fonds se retrouvent aux mains d'une seule personne, ou partent à l'étranger (principalement en Hollande). Il n'y a donc plus rien d'organisé.

C'est alors qu'à la fin de la Révolution, un petit groupe de parisiens jansénisants, des laïcs essentiellement, va décider de reprendre en main l'organisation des secours jansénistes. Ce groupe, fondé en 1802 par un entrepreneur, Jean Philippe Gaspard Camet de la Bonnardière, compte au départ une dizaine de membres. Il a pour objectif de récupérer les fonds des tontines pour financer des écoles gratuites pour les enfants, pour acheter des livres, pour secourir les prêtres.

C'est une société organisée qui naît, avec des statuts, un objectif, des membres connus. Mais elle ne porte pas de nom, n'apparaît nulle part, et fonctionne dans une semi-clandestinité. Pendant plus de 20 ans, elle s'attache à récupérer, un par un, tous les fonds existants. C'est un travail acharné de la part de ses membres. J'ai pu voir comment ils fonctionnaient en étudiant les archives de cette société. Quand ils ont repéré un détenteur de fond, un des membres le contacte, généralement en passant par un intermédiaire qui connaît le détenteur. S'ensuit alors une longue correspondance, pour cerner la personne, lui expliquer l'objectif de la société (toujours avec des mots couverts, des sous-entendus), et le prier soit d'entrer avec ses fonds dans la tontine de la société, soit de faire entrer des membres de la société dans sa tontine.

Il est assez remarquable que, malgré les divisions de la Révolution, les membres de la société aient pu ainsi récupérer la quasi-totalité des fonds. C'est d'autant plus intéressant que la plupart des membres de cette société ne sont pas des descendants de jansénistes "historiques" du XVIIIe siècle. Ceux-ci ont tendance à rester légèrement à l'écart de cette société.

Mais je vois que la Révolution m'a pris pas mal de temps (et encore, il y aurait tant d'autres choses à dire !), le XIXe siècle attendra donc encore avant de se dévoiler...

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