vendredi 4 janvier 2008

Le vendredi, c'est théologie

À la demande générale de la foule en délire, je crois qu'il va falloir que je me décide (il serait temps !) à expliquer un peu ce qu'est le jansénisme.

À dire vrai, ça m'embête un peu (et je reste polie). C'est que je ne suis pas une spécialiste de théologie, donc forcément, je vais faire des erreurs. J'espère quand même que vous me pardonnerez, et que vous apprendrez quelque chose. Je vais m'appliquer, promis, pour essayer d' être à la fois claire et précise.

Alors, on a dit le jansénisme...

Le jansénisme, tous les jansénistes vous le diront, n'existe pas. Mais les jésuites disaient le contraire, alors qui croire ?

En fait, ce qu'on appelle "jansénisme" est une doctrine (1) mise en forme d'abord dans un gros ouvrage écrit au début du XVIIe siècle par un évêque d'Ypres (Belgique) appelé Jansenius. Cette doctrine a été popularisée ensuite en France par l'intermédiaire d'un ami proche de Jansenius : Jean Duvergier de Hauranne, abbé de Saint-Cyran.

L'ouvrage de Jansénius s'appelle L'Augustinus. C'est en fait une analyse des écrits de saint Augustin, accompagnée de développements théologiques. Il met en lumière un certain nombre de points de doctrine qui étaient un peu mises en retrait dans la théologie de l'époque moderne :
- Tout d'abord, la nature de l'Homme est profondément corrompue par le Péché originel. C'est-à-dire que l'Homme, par nature, est pécheur. Il n'est pas naturellement amené à faire le bien et a une inclination naturelle vers le mal, la paresse, le laisser-aller moral et physique.
- Ensuite, Dieu accorde (ou non) sa Grâce à l'Homme, grâce qui est la seule chose qui puisse sauver l'Homme. Si l'Homme n'a pas la grâce divine, il ne peut se sauver seul par ses œuvres.
- Pour mériter la grâce divine, l'Homme doit opérer sur lui-même un profond travail de conversion intérieure, qui lui fasse accéder à un état d'abandon à Dieu permettant à celui-ci de faire agir sa grâce.
- L'Homme ne peut résister à la grâce divine. Dieu décide ou non de la donner, et l'Homme ne peut rien y changer.

Comme on le voit, le jansénisme est une doctrine extrêmement exigeante pour le chrétien. Elle ne souffre pas la "paresse" et veut un engagement total de l'Homme dans sa vie spirituelle.

En fait, c'est à la fois une résurgence de théologie antique (saint Augustin = Ve siècle) et une réaction contre l'Église du XVIIe siècle, marquée à la fois par la Réforme protestante (qui soutient elle aussi la prédestination de l'Homme face à la Grâce divine) et la Réforme catholique issue du Concile de Trente (qui au contraire insiste sur le libre-arbitre le l'Homme et sa capacité à se sauver grâce à ses œuvres).

De plus, très rapidement le jansénisme s'oppose frontalement aux Jésuites. Ceux-ci prennent au XVIIe siècle une importance certaine auprès du Pape et de la monarchie française, et paraissent trop "coulants" au point de vue moral aux yeux des jansénistes.

Les jansénistes, au départ concentrés autour du monastère de Port-Royal des Champs (où vivent des religieuses mais aussi, dans un bâtiment proche, les Solitaires), s'attaquent aux Jésuites et critiquent certaines actions de la monarchie (notamment les alliances militaires avec des royaumes protestants contre des royaumes catholiques). Pascal, avec ses Provinciales, raille férocement les Jésuites, tandis que les jansénistes commencent à se faire mal voir de la hiérarchie catholique à cause de leurs imprécations et de leurs exigences pénitentielles.
Le pape condamne pour la première fois le jansénisme en 1657, puis à nouveau en 1705.

Mais le jansénisme a d'autres aspects que la seule doctrine théologique. Il est également très lié avec une pensée ecclésiologique (c'est-à-dire pensant l'organisation de l'Église en tant qu'institution divine et humaine) appelée richérisme, de même qu'avec le gallicanisme. Cet aspect plus "politique", je l'expliquerai une autre fois.

Ce qu'il faut comprendre, c'est que malgré l'apparente dureté de la doctrine janséniste, celle-ci a séduit de nombreuses personnes fascinées par l'exigence qu'elle demandait. En ce XVIIe siècle qui voit fleurir de nombreuses expériences religieuses (saint Vincent de Paul, sainte Jeanne de Chantal, saint François de Sales, mais aussi le cardinal de Bérulle), le jansénisme s'inscrit, de façon radicale certes, dans ce qu'on appelle "l'école française de spiritualité", qui veut réformer l'Église et purifier ses doctrines. Il est un pôle d'attraction majeur dans l'Église de France, malgré les condamnations dont il a été rapidement l'objet.

Un jour, je montrerai aussi comment cette théologie a évolué au XVIIIe siècle, puis au XIXe, pour donner lieu à l'expérience troublante des convulsionnaires, et survivre jusqu'au cœur du XIXe siècle dans le clergé français.

(1) J'utilise le mot "doctrine", mais tout connaisseur du jansénisme me torturerait à mort s'il me lisait. Il n'y a pas de doctrine en tant que telle dans le jansénisme, enfin, pas au sens où ce serait une construction originale et construite. Mais si je dois utiliser des périphrases à chaque fois, on ne va pas s'en sortir, c'est déjà assez compliqué comme ça...

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