mardi 26 février 2008

L'Église d'Utrecht, ou les jansénistes en Hollande.

J'ai déjà dit au détour de quelques phrases, que "mes" jansénistes du XIXe avaient des rapports avec l'Église d'Utrecht. Il serait sans doute temps que je dise un peu de quoi il s'agit...

L'Église catholique de Hollande était très affaiblie par la présence de protestants en nombre majoritaire depuis la Réforme. Elle vivait donc dans un état de semi-clandestinité. Paradoxalement, cette situation permettait aux catholiques inquiétés dans d'autres royaumes d'y trouver un certain refuge.

C'est ainsi que les principales personnalités du mouvement janséniste à la fin du XVIIe siècle y trouvèrent refuge (Antoine Arnauld, par exemple, y passa quelques mois). Le plus influent d'entre eux à la fin du XVIIe siècle, Pasquier Quesnel, s'installa durablement en Hollande (la Hollande s'appelait alors "Provinces-Unies"). Il était entouré d'un nombre important de prêtres jansénistes, ce qui lui donnait un poids certain dans une Église locale complètement laissée à elle-même.

Depuis la Réforme, les papes avaient supprimé les archevêchés en Hollande. Mais au début du XVIIIe siècle, les Jésuites ont voulu faire de la Hollande une nouvelle terre de mission. Ils ont été dès le départ mal accueillis par une population plus encline à suivre les jansénistes présents. Quand le vicaire apostolique nommé par Rome fut révoqué pour ses positions jansénisantes, en 1703, ses fidèles se tournèrent encore plus vers les prêtres jansénistes.

L'hostilité à Rome grandit encore avec la proclamation de la Bulle Unigenitus en 1713, qui condamne formellement le jansénisme. Et quand, en 1723, un nouveau vicaire apostolique est nommé, les chanoines de la ville d'Utrecht le refusent. Ils se choisissent alors un évêque, Cornelius Steenoven. Pour que cette élection soit valide, ils le font consacrer par Dominique Marie Varlet. Cet évêque était le coadjuteur de Bossuet mais, accusé de jansénisme, il avait été consacré évêque "in partibus" de Babylone, c'est à dire poliment mais fermement condamné par Rome. Varlet s'était réfugié à Utrecht, parmi les jansénistes. En consacrant Mgr Steenoven, il place son épiscopat dans la "continuité apostolique", c'est-à-dire qu'il lui donne une certaine validité. Mais bien sûr, le pape condamne cette élection et excommunie le nouvel évêque et les fidèles qui le suivent.

C'est alors que l'Église de Hollande se divise : une partie des fidèles suit le nouvel évêque, une autre partie reste fidèle à Rome. Les jansénistes, bien sûr, se rangent du côté de Steenoven. Mais au cours du XVIIIe siècle, l'église d'Utrecht et les jansénistes restés en France perdent peu à peu le contact étroit qu'ils avaient au début.

À la mort de Steenoven, un nouvel évêque est élu. Puis plusieurs autres diocèses sont formés, avec des évêques qui se consacrent entre eux. À chaque consécration, le nouvel évêque envoie une lettre à Rome, demandant à être reconnu. À chaque fois, le pape répond par une excommunication.

Pendant la Révolution française, le principal rédacteur des Nouvelles Ecclésiastiques (le journal clandestin janséniste) trouve refuge à Utrecht. Mais il continue à faire parvenir en France son journal.

Les contacts entre l'Église d'Utrecht et les jansénistes est quasiment inexistant au début du XIXe siècle. Il faut dire que les français sont en pleine réorganisation, alors que les hollandais font face à de graves crises internes. Mais en 1836, l'abbé Grégoire se rend en Hollande avec Bonaventure Hureau (le supérieur des écoles jansénistes de Port-Royal) à Utrecht. Ils ont pour mission de renouer le contact.

En effet, du côté des jansénistes français, une question importante se pose : que faut-il faire, alors que la plupart des prêtres jansénisants du XVIIIe sont en train de mourir ? On ne trouve presque plus de prêtres n'ayant pas signé le Formulaire, refusant la Bulle Unigenitus ou réfractaires au Concordat. Tous les membres des divers groupes jansénistes sont donc confrontés, à court terme, à une perte des sacrements s'ils veulent rester hors des sentiers officiels de l'Église de Rome. On songe alors très sérieusement à faire venir de jeunes prêtres de Hollande, pour assurer le service ecclésiastique dans la droite ligne de Port-Royal.

Les efforts des uns et des autres ne permettent cependant pas de faire aboutir ce projet : le manque de vocations en Hollande, le peu de moyens financiers des français, et surtout les divergences au sein des jansénistes français, font que finalement aucun prêtre n'est envoyé. Selon les communautés, soit on rejoint discrètement et avec réticences l'Église (c'est généralement le cas des parisiens), soit on se tourne vers un fonctionnement communautaire dirigé par des laïcs et donc sans la plupart des sacrements (comme à Lyon, par exemple).

Mais le contact n'est jamais coupé. Les sœurs Sophie et Rachel Gillet, qui tiennent la bibliothèque de Port-Royal au milieu du XIXe siècle, ont une correspondance fournie avec Utrecht. De même, Wladimir Guettée a été un temps tenté de rejoindre cette église, avant de finalement basculer vers l'orthodoxie.

De son côté, l'Église d'Utrecht finit par sortir de ses dissensions internes dans les années 1850, avec l'évêque Van Santen, puis avec Mgr Kirsten. L'Église manque cependant cruellement d'argent. Des fonds de la Société de Port-Royal lui sont donc affectés, pour notamment entretenir un séminaire à Amersfoort et fournir des livres pour la bibliothèque.

Dans une lettre de Mgr Karsten (qui n'est alors que directeur du séminaire d'Amersfoort, en 1845) à Sophie Gillet, on voit que l'Église d'Utrecht compte alors 3 évêques, 30 prêtres, 25 séminaristes, pour environ 5000 fidèles (contre 1 million de catholiques romains et 1,5 million de protestants). C'est donc une petite Église.

Cela ne l'empêche pas de s'élever vigoureusement contre le dogme de l'Immaculée conception proclamé en 1854, contre le Syllabus de 1864 ou le concile Vatican I de 1870. L'Église d'Utrecht se rapproche alors d'autres mouvements, notamment allemands, qui refusent également cette évolution anti-moderniste de l'Église romaine. Ensemble, ils se regroupent à Munich en 1871.

Lors de cette rencontre de tous les mécontents de l'Église d'alors, l'évêque d'Utrecht, Mgr Loos, est accueilli comme le chef naturel de cette union. Auprès de lui, Hyacinthe Loyson, prêtre français récemment excommunié, va fonder l'Église vieille-catholique française (j'en parlerai une autre fois). Un théologien allemand, Ignaz von Döllingen, est également très influent.

Cette union d'Utrecht qui se forme entre toutes les églises vieilles-catholiques d'Europe occidentale va donner ensuite lieu à la création de multiples petits mouvements. En effet, les évêques vieux-catholiques ne sont pas toujours très regardants avec les ordinations. À la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, par souci de s'implanter partout, on sacre des évêques qui ensuite font évoluer leurs églises un peu comme ils le veulent. Une grande partie des petites églises européennes actuelles sont issues indirectement de l'Union d'Utrecht. Il faut bien se rendre compte de l'importance de la continuité apostolique pour la légitimité d'une Église : les évêques d'Utrechts étant les seuls dont la succession se rattache à un évêque validement consacré (Dominique Varlet), s'y rattacher est fondamental pour avoir une crédibilité.

De son côté, l'Église d'Utrecht évolue rapidement. Dès la fin du XIXe siècle, la langue vernaculaire est acceptée dans les offices. Au début du XXe siècle, le mariage des prêtres est progressivement accepté.

Aujourd'hui, l'Église d'Utrecht existe toujours. Elle est très minoritaire en Hollande, mais exerce une certaine attraction pour des catholiques en froid avec Rome.

Elle n'a plus vraiment de liens avec Port-Royal, même si elle continue de s'en réclamer et qu'elle possède, parmi son patrimoine, divers objets venus de Port-Royal avec les jansénistes du XVIIe siècle. Mais aux colloques sur le jansénisme, on voit parfois certains vieux-catholiques français, qui reprennent de l'intérêt pour Port-Royal.

lundi 18 février 2008

Cet étrange Monsieur Silvy...

Quand on travaille sur Port-Royal, on croise forcément un jour où l'autre le nom de Louis Silvy.

Il est généralement connu comme "le propriétaire de Port-Royal des Champs au début du XIXe siècle", et c'est tout. Or cet homme, véritable labyrinthe historique à lui tout seul, a une importance capitale dans la mémoire spirituelle, matérielle et archivistique de Port-Royal et du jansénisme.

Louis Silvy est né à Paris le 27 novembre 1760. Il est le fils d'un conseiller auditeur en la Chambre des Comptes, Louis-Melchior Silvy. C'est une famille d'honnête bourgeoisie, de ce qu'on appelle la "robe", c'est à dire tout ce qui touche au droit sous l'Ancien Régime. Les juristes de cette deuxième moitié du XVIIIe sont généralement proches du jansénisme, par tradition et opposition latente à la monarchie absolue. La famille de Louis Silvy, sans être connue particulièrement pour son jansénisme, semble entrer dans ce cadre.

Louis Silvy reçoit une éducation soignée, notamment par un bénédictin, Dom Deforis, qui a publié (semble-t'il avec l'aide du jeune Silvy) les œuvres de Bossuet, et qui est honorablement connu à l'époque pour ses travaux historiques. Louis Silvy succède à son père dans sa charge de conseiller à la Chambre des comptes en 1780.

Les débuts de la Révolution ne semblent pas affecter outre-mesure Silvy, même s'il perd sa charge. Il est assez fortuné pour vivre sans travailler. D'autant plus qu'avant la Terreur il épouse Rosalie-Thérèse Boudet, jeune fille issue d'une famille de parlementaires jansénistes et très à l'aise financièrement.

Le jeune couple s'emploie à prodiguer comme il le peut la charité, utilisant sa fortune au service des pauvres du quartier. Rosalie demande à son mari (et obtient l'autorisation) de vendre ses bijoux pour les nécessiteux. Louis passe sa vie dans l'étude des textes religieux et ecclésiastiques, se forgeant une connaissance extrêmement approfondie des problèmes touchant au jansénisme, au richérisme et à la théologie en général.

Il devient, à la réouverture des églises, secrétaire de la fabrique de Notre-Dame des Blancs-Manteaux à Paris, c'est-à-dire qu'il s'occupe officiellement de l'accueil des pauvres de cette paroisse, il est "commissaire aux pauvres". Dans la notice nécrologique qui lui est consacré par la Revue Ecclésiastique en 1847, il est dit de lui que "malgré sa vivacité naturelle, il écoutait avec patience les indigents, même les Juifs, qui sont en grand nombre dans ce quartier".

Pendant ce temps, il tisse des liens avec le réseau janséniste parisien. Sans être vraiment intégré à la toute jeune Société qui naît en 1802, il en est proche. Sa femme meurt en 1809, à 32 ans à peine, sans lui laisser d'enfant. Elle laisse une aura de piété, de talents, de charité. À partir de cette époque, Louis Silvy mène une vie d'intense austérité : il dort sur une paillasse, jeûne tous les vendredi, s'impose la récitation des offices de l'Église etc... Il a une vie de laïc faite entièrement de piété, de lectures et d'études théologiques.

Lorsque Napoléon Ier ramène à Paris les archives du Vatican, Louis Silvy se débrouille pour y avoir accès. Il cherche sans doute à retrouver dans ces archives des documents concernant les condamnations du jansénisme au XVIIe siècle et au début du XVIIIe siècle. Il recopie une partie de ces archives. Il a en effet l'obsession du combat janséniste. C'est un des derniers à s'opposer, dans les mêmes termes qu'au début du XVIIIe siècle, au Pape. En 1813, il écrit et publie trois discours contre la Bulle Unigenitus... proclamée en 1713.

Louis Silvy semble souvent mener un combat d'arrière-garde. Il est un polémiste virulent, acharné, qui ne rate jamais sa cible et s'appuie sur une connaissance sans faille de l'Histoire de l'Église et du jansénisme.

Ses principaux combats sont d'une part la "persécution" des fidèles de la Petite Église de Lyon, et d'autre part le combat contre le rétablissement des Jésuites en France.

Concernant la Petite Église de Lyon, Silvy a une attitude mesurée à l'intérieur du monde janséniste mais acharnée au-dehors. Il n'a jamais voulu, pour lui-même, quitter l'Église de fait en refusant le Concordat de 1801, tout comme il avait refusé l'Église constitutionnelle (surtout qu'il est très royaliste). Il ne partage pas non plus le versant convulsionnaire de la communauté lyonnaise. Au sujet des convulsions, il en appelle à un "sévère discernement" concernant les prophéties et les secours, et condamne les grands secours. Mais cela ne l'empêche pas de soutenir individuellement de nombreux convulsionnaires, et de se battre publiquement pour que le Cardinal Fesch, archevêque de Lyon et oncle de Napoléon, cesse ses tracasseries (que lui appelle persécutions) contre la Petite Église lyonnaise. Il écrit à ce sujet de nombreux pamphlets, qui sont d'une rare cruauté pointilleuse.

Le retour des Jésuites dans la France du début de la Restauration (en 1816) est pour lui un désastre. Il va se battre sans relâche contre eux, les accusant de vouloir ruiner la France, de revenir pour se venger de leur expulsion de 1763 et de projetter la corruption de la jeunesse française dans leurs collèges. Son combat n'est que très peu relayé dans le clergé, pourtant encore majoritairement gallican à l'époque.

En 1824, Louis Silvy hérite de la fortune importante de sa mère. Il va dès lors s'en servir pour la cause janséniste : il achète, avec une tontine issue de la Société de Port-Royal, les ruines de l'abbaye de Port-Royal des Champs. Lui-même s'installe à Saint-Lambert des Bois, dans une grosse maison encore de nos jours connue sous le nom de "maison Silvy". Il y installe des écoles gratuites, à Saint-Lambert en 1829 et dans le village voisin de Magny les Hameaux en 1835. Il se fera d'ailleurs enterrer à Saint-Lambert juste à côté du "carré de Port-Royal" qui renferme les ossements déterrés du monastère à sa destruction.

Il effectue un certain nombre de travaux de réparations et d'assainissements à Port-Royal. Il fait creuser un bras supplémentaire au grand canal qui traverse le domaine, lui donnant ainsi la forme d'une croix. Il fait construire un oratoire à l'emplacement du chœur de l'ancienne église monastique. Il fait également planter des tilleuls à l'emplacement de l'ancien cloître, ce qui donne encore aujourd'hui une bonne perspective des dimensions des bâtiments monastiques.

Louis Silvy passe alors le plus clair de son temps à Port-Royal. Il correspond non seulement avec le réseau janséniste parisien, qu'il vient visiter de temps en temps, mais aussi avec les jansénistes de toute la France et même de l'étranger. Il est particulièrement proche de l'abbé François Jacquemont, qui est une figure emblématique des jansénistes convulsionnaires du Forez. Outre le soutien apporté aux lyonnais, il correspond également avec la petite communauté janséniste toulousaine, avec des prêtres anticoncordataires ou gallicans du Morbihan, de la région de Troyes, d'Orléans. Il a également quelques liens avec la Petite Église d'Utrecht.

Louis Silvy ne fait pas mystère de son attachement au jansénisme. Il est vu partout, dans la presse notamment, comme le héraut des jansénistes. C'est peut-être d'ailleurs ce qui a permis aux autres de ne jamais apparaître comme tels au grand jour. Cependant, il est intéressant de noter qu'il n'a jamais appartenu formellement à la Société de Port-Royal.

Louis Silvy a deux autres facettes originales et intéressantes, qui permettent de donner encore un peu plus d'épaisseur à ce personnage central du monde janséniste.

En effet, Louis Silvy est non seulement un chrétien engagé, mais également un agronome novateur. Dès avant la Révolution, il avait acheté le domaine de Chamgueffier, en Seine et Marne. Il s'y livre à l'élevage de moutons mérinos, encore très peu pratiqué à l'époque. C'est là que son beau-frère va faire des expériences de vaccination sur les moutons, se montrant donc très novateur pour l'époque. Il poursuit ces activités dans le domaine de Chatou qu'il achète en 1804, mais semble abandonner ces activités en 1812. (1)

Louis Silvy se retrouve également embarqué dans une des plus curieuses histoires de la Restauration, celle de Martin de Gallardon. Ce laboureur dit avoir un ange qui lui apparaît régulièrement et qui lui demande d'aller voir le roi Louis XVIII pour que celui-ci redonne à la France une mentalité plus religieuse. Il serait trop long de raconter ici toute l'histoire de ce Martin, qui finit cependant par rencontrer le roi, qui est jugé demi-fou par les psychiatres de l'époque, et qui termine en fervent soutien du faux-dauphin Naundorff. Ce qu'il faut retenir, c'est que Louis Silvy va se faire le protecteur de Martin, écrire des défenses de ses visions, le soutenir financièrement et moralement, et partager ses déboires. Par l'intermédiaire de Martin, Louis Silvy tente (sans succès) d'intéresser la duchesse d'Angoulême à la cause janséniste et gallicane. Louis Silvy est furieusement royaliste, il trouve la Restauration bien trop fade, comme un succédané de monarchie de droit divin. Il pensait sans doute, en soutenant Martin, que celui-ci pourrait faire évoluer Louis XVIII vers un régime plus tourné vers la tradition. (2)

Ce portrait se fait long... Je terminerai en disant que Louis Silvy, mort en 1847, a été unaniment salué et vénéré dans le petit monde janséniste. Malgré cela, il est extrêmement difficile d'en savoir plus sur sa vie. Constamment en dehors des groupes, il n'a laissé que peu d'archives. Sa présence est constante, toujours présente derrière chaque action des réseaux jansénistes pendant la première moitié du XIXe siècle. Mais il donne l'impression de s'être trompé de siècle, d'avoir été fait pour les furieux combats parlementaires du XVIIIe siècle, ou pour les joutes théologiques acérées du XVIIe siècle. Comme perdu au milieu d'une nouvelle ère, il a mené des combats d'arrière-garde, mais avec une fougue et une détermination sans failles. Présence fascinante du monde janséniste, il n'a laissé que peu de pistes pour connaître sa pesonnalité. Seuls ses écrits parlent pour lui, et leur foisonnement laisse songeur sur le caractère de cet homme.

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(1) Ces informations sur le versant "agronomique" de Louis Silvy m'étaient totalement inconnues jusqu'à ce qu'un wikipédien curieux et passionné d'agronomie repère "mon" Louis Silvy, qui semblait correspondre à "son" Louis Silvy agronome, et que nous fassions le rapprochement. Jamais cet aspect de la vie de Louis Silvy n'avait été connu je crois dans les études jansénistes. Que "Nicod" soit donc vivement remercié pour cet apport biographique important.
(2) Au sujet de l'histoire de Martin de Gallardon, il faut lire le livre de Philippe Boutry et Jacques Nassif, Martin l'Archange, publié chez Gallimard en 1985. Une passionnante approche comparée entre un historien et un psychanalyste sur le "phénomène" Martin.

À lire également, les notices sur Louis Silvy et Martin de Gallardon sur Wikipédia.

vendredi 8 février 2008

Une organisation solide

Reprenons notre histoire de la Société de Port-Royal (je ne suis pas très régulière, mais Port-Royal des Champs vit une étape importante sur Wikipédia, tentant le passage comme "Article de qualité", donc ça prend du temps...)

Nous étions restés au tout début du XIXe siècle. Une toute nouvelle société venait de naître, cherchant à récupérer les différents fonds de la boite à Perrette, bien malmenés par la Révolution.

Pour situer un peu les choses, il faut décrire ces "jansénistes" du XIXe siècle, complètement ignorés des histoires classiques du jansénisme, mais qui sont très intéressants à étudier.

Il y a bien sûr l'abbé Grégoire, mais comme je l'avais dit en faisant son portrait, il est un peu en retrait. Il y a aussi Louis Silvy, un curieux personnage auquel je consacrerai un portrait entier, et qui est en quelque sorte l'éminence grise du mouvement. Il y a surtout les membres de cette fameuse "Société".

Ces membres se connaissent tous. Ils font partie de la bourgeoisie parisienne, pas forcément très fortunée, mais de plus en plus influente. La famille Rendu en est un bon exemple. Deux de ses membres sont parmi les plus importants de la Société. Cette famille a tissé au début du XIXe de nombreux liens dans le monde janséniste, par le biais notamment des mariages. Ses membres, qui sont pour la plupart de hauts fonctionnaires, travaillent dans l'ombre à faire vivre le souvenir de Port-Royal. Ils participent aux tontines, et apportent leur expertise. Par exemple, Ambroise Rendu, qui est inspecteur de l'Instruction publique, profite de son poste pour autoriser une congrégation janséniste à enseigner en 1810.

Une autre grande figure de la Société de cette époque est Jean Philippe Gaspard Camet de la Bonnardière. Il est le fils d'un planteur de la Martinique. Arrivé en France peu de temps avant la Révolution, il intègre tout de suite (et sans qu'on sache trop ni pourquoi ni comment) le milieu janséniste. Pendant la Révolution, c'est lui qui achète pour un prix très bas un certain nombre de tableaux, dont certains de Philippe de Champaigne, qui appartenaient au monastère de Port-Royal de Paris. Il se marie ensuite avec une des filles Rendu, et fonde en 1802 la Société.

Mais c'est également un homme public : il devient maire du XIe arrondissement de Paris (circonscription qui regroupe aujourd'hui le 5e et une partie du 6e arrondissement). Il laisse le souvenir d'un philanthrope, d'un bon maire. Avec ses beaux-frères et d'autres amis, il cherche à améliorer la situation sanitaire de sa ville, et fonde une entreprise de salubrité publique. Cette société est intéressante, car elle proposait le ramassage des ordures et l'installation de "fosses septiques mobiles et inodores", c'est à dire d'un véritable système de collecte des déchets en plein coeur de Paris. Quand on y pense, c'est une véritable révolution. Malheureusement, l'entreprise fait faillite et il faudra attendre le préfet Poubelle à la fin du XIXe siècle pour revoir une politique publique d'assainissement de Paris. Enfin, cela prouve que du carosse à quatre sols de Pascal aux jansénistes du XIXe, la rigueur théologique n'empêche ni l'esprit d'entreprise ni l'innovation sociale.

Autre portrait rapide, celui des frères Pâris. Rien à voir avec le diacre du début du XVIIIe siècle. Amâble et Roch Pâris sont deux frères célibataires qui ont voué leur vie à Port-Royal et au jansénisme. Ils consacrent leur temps à la recherche des tontines égarées, et sont passés maîtres dans l'art de ramener des fonds. Toujours vêtus de noir, s'en allant tous les deux à travers Paris, ils aident les écoles jansénistes, ils collectent les livres jansénistes, ils tiennent à jour les relations entre jansénistes de diverses régions. On connaît très peu de choses sur eux, mais ils sont un pivot essentiel de la Société.

Il y a bien d'autres membres de la Société dont on pourrait dresser ainsi le portrait. Mais ce serait très long. Ce qu'il faut retenir, c'est que la société du début du XIXe est une société d'hommes, de bourgeois sans histoires, qui se retrouvent régulièrement en réunion pour décider de ce qu'ils ont à faire et gérer leurs biens. Ils écrivent de temps en temps dans des journaux gallicans, mais font finalement assez peu de vagues. Pendant les vingt premières années du siècle, leur action est assez peu spectaculaire mais elle est essentielle pour la suite.

En effet, en 1824 commence la grande entreprise du rachat de Port-Royal des Champs. Le monastère avait été vendu comme bien national à la Révolution à une veuve jansénisante qui avait tout fait pour conserver le site dans le pieux souvenir de Port-Royal, mais à sa mort c'est un de ses neveux qui en a hérité. Celui-ci n'a pas autant le souci du souvenir, et sa femme non plus. C'est ainsi qu'ils décident de vendre à la Société le site des ruines de l'abbaye.

La vente se fait en deux parties. La moitié du site est achetée par Louis Silvy, l'autre moitié par une tontine de quatre personnes formée de membres de la société. Avec le site, Louis Silvy achète une maison à Saint Lambert des Bois, la commune voisine. Il y installe une congrégation de frères enseignants, les Frères des écoles chrétiennes du faubourg Saint-Antoine, autrement appelés Frères Tabourins. Ces frères ont pour mission d'enseigner gratuitement aux enfants pauvres de la région. Ils sont financés par la Société, qui demande à ce que les principes jansénistes soient présents dans l'enseignement. La congrégation est également présente à Paris, dans les petites villes de la banlieue parisienne et à Auxerre. Au début, tout se passe bien. Les écoles font le plein, elles prennent quelques pensionnaires payants pour augmenter leurs revenus, et un certain nombre d'anciens élèves rejoignent ensuite la congrégation comme frères enseignants. L'enseignement semble être de qualité correcte, faisant notamment une part importante aux mathématiques. C'est donc un succès, mais un succès qui coûte extrêmement cher à la Société, dont la quasi totalité du budget est absorbée par ces écoles.

Cela ne l'empêche cependant pas de continuer à financer des prêtres interdits et inquiétés. En effet, jusque dans les années 1830, la France compte un certain nombre de prêtres qui ont refusé le Concordat de 1801 et qui sont donc continuellement inquiétés par leur hiérarchie. Plus le temps passe, plus les évêques sont durs avec ces prêtres rebelles, et ceux-ci finissent par se retrouver sans cure, sans ressources, sans autre solution que de demander de l'aide. J'ai ainsi trouvé quelques exemples de prêtres "secourus" dans la région de Reims, près de Vannes, en Forez, ou même autour de Paris. Ces vieux prêtres disparaissent les uns après les autres dans les années 1830-1840.

Cette libération progressive des fonds des prêtres inquiétés va permettre à la Société de se constituer progressivement un patrimoine immobilier important dans Paris. Mais cette étape sera l'objet d'un prochain post, celui-ci se faisant un peu long et décousu.