vendredi 8 février 2008

Une organisation solide

Reprenons notre histoire de la Société de Port-Royal (je ne suis pas très régulière, mais Port-Royal des Champs vit une étape importante sur Wikipédia, tentant le passage comme "Article de qualité", donc ça prend du temps...)

Nous étions restés au tout début du XIXe siècle. Une toute nouvelle société venait de naître, cherchant à récupérer les différents fonds de la boite à Perrette, bien malmenés par la Révolution.

Pour situer un peu les choses, il faut décrire ces "jansénistes" du XIXe siècle, complètement ignorés des histoires classiques du jansénisme, mais qui sont très intéressants à étudier.

Il y a bien sûr l'abbé Grégoire, mais comme je l'avais dit en faisant son portrait, il est un peu en retrait. Il y a aussi Louis Silvy, un curieux personnage auquel je consacrerai un portrait entier, et qui est en quelque sorte l'éminence grise du mouvement. Il y a surtout les membres de cette fameuse "Société".

Ces membres se connaissent tous. Ils font partie de la bourgeoisie parisienne, pas forcément très fortunée, mais de plus en plus influente. La famille Rendu en est un bon exemple. Deux de ses membres sont parmi les plus importants de la Société. Cette famille a tissé au début du XIXe de nombreux liens dans le monde janséniste, par le biais notamment des mariages. Ses membres, qui sont pour la plupart de hauts fonctionnaires, travaillent dans l'ombre à faire vivre le souvenir de Port-Royal. Ils participent aux tontines, et apportent leur expertise. Par exemple, Ambroise Rendu, qui est inspecteur de l'Instruction publique, profite de son poste pour autoriser une congrégation janséniste à enseigner en 1810.

Une autre grande figure de la Société de cette époque est Jean Philippe Gaspard Camet de la Bonnardière. Il est le fils d'un planteur de la Martinique. Arrivé en France peu de temps avant la Révolution, il intègre tout de suite (et sans qu'on sache trop ni pourquoi ni comment) le milieu janséniste. Pendant la Révolution, c'est lui qui achète pour un prix très bas un certain nombre de tableaux, dont certains de Philippe de Champaigne, qui appartenaient au monastère de Port-Royal de Paris. Il se marie ensuite avec une des filles Rendu, et fonde en 1802 la Société.

Mais c'est également un homme public : il devient maire du XIe arrondissement de Paris (circonscription qui regroupe aujourd'hui le 5e et une partie du 6e arrondissement). Il laisse le souvenir d'un philanthrope, d'un bon maire. Avec ses beaux-frères et d'autres amis, il cherche à améliorer la situation sanitaire de sa ville, et fonde une entreprise de salubrité publique. Cette société est intéressante, car elle proposait le ramassage des ordures et l'installation de "fosses septiques mobiles et inodores", c'est à dire d'un véritable système de collecte des déchets en plein coeur de Paris. Quand on y pense, c'est une véritable révolution. Malheureusement, l'entreprise fait faillite et il faudra attendre le préfet Poubelle à la fin du XIXe siècle pour revoir une politique publique d'assainissement de Paris. Enfin, cela prouve que du carosse à quatre sols de Pascal aux jansénistes du XIXe, la rigueur théologique n'empêche ni l'esprit d'entreprise ni l'innovation sociale.

Autre portrait rapide, celui des frères Pâris. Rien à voir avec le diacre du début du XVIIIe siècle. Amâble et Roch Pâris sont deux frères célibataires qui ont voué leur vie à Port-Royal et au jansénisme. Ils consacrent leur temps à la recherche des tontines égarées, et sont passés maîtres dans l'art de ramener des fonds. Toujours vêtus de noir, s'en allant tous les deux à travers Paris, ils aident les écoles jansénistes, ils collectent les livres jansénistes, ils tiennent à jour les relations entre jansénistes de diverses régions. On connaît très peu de choses sur eux, mais ils sont un pivot essentiel de la Société.

Il y a bien d'autres membres de la Société dont on pourrait dresser ainsi le portrait. Mais ce serait très long. Ce qu'il faut retenir, c'est que la société du début du XIXe est une société d'hommes, de bourgeois sans histoires, qui se retrouvent régulièrement en réunion pour décider de ce qu'ils ont à faire et gérer leurs biens. Ils écrivent de temps en temps dans des journaux gallicans, mais font finalement assez peu de vagues. Pendant les vingt premières années du siècle, leur action est assez peu spectaculaire mais elle est essentielle pour la suite.

En effet, en 1824 commence la grande entreprise du rachat de Port-Royal des Champs. Le monastère avait été vendu comme bien national à la Révolution à une veuve jansénisante qui avait tout fait pour conserver le site dans le pieux souvenir de Port-Royal, mais à sa mort c'est un de ses neveux qui en a hérité. Celui-ci n'a pas autant le souci du souvenir, et sa femme non plus. C'est ainsi qu'ils décident de vendre à la Société le site des ruines de l'abbaye.

La vente se fait en deux parties. La moitié du site est achetée par Louis Silvy, l'autre moitié par une tontine de quatre personnes formée de membres de la société. Avec le site, Louis Silvy achète une maison à Saint Lambert des Bois, la commune voisine. Il y installe une congrégation de frères enseignants, les Frères des écoles chrétiennes du faubourg Saint-Antoine, autrement appelés Frères Tabourins. Ces frères ont pour mission d'enseigner gratuitement aux enfants pauvres de la région. Ils sont financés par la Société, qui demande à ce que les principes jansénistes soient présents dans l'enseignement. La congrégation est également présente à Paris, dans les petites villes de la banlieue parisienne et à Auxerre. Au début, tout se passe bien. Les écoles font le plein, elles prennent quelques pensionnaires payants pour augmenter leurs revenus, et un certain nombre d'anciens élèves rejoignent ensuite la congrégation comme frères enseignants. L'enseignement semble être de qualité correcte, faisant notamment une part importante aux mathématiques. C'est donc un succès, mais un succès qui coûte extrêmement cher à la Société, dont la quasi totalité du budget est absorbée par ces écoles.

Cela ne l'empêche cependant pas de continuer à financer des prêtres interdits et inquiétés. En effet, jusque dans les années 1830, la France compte un certain nombre de prêtres qui ont refusé le Concordat de 1801 et qui sont donc continuellement inquiétés par leur hiérarchie. Plus le temps passe, plus les évêques sont durs avec ces prêtres rebelles, et ceux-ci finissent par se retrouver sans cure, sans ressources, sans autre solution que de demander de l'aide. J'ai ainsi trouvé quelques exemples de prêtres "secourus" dans la région de Reims, près de Vannes, en Forez, ou même autour de Paris. Ces vieux prêtres disparaissent les uns après les autres dans les années 1830-1840.

Cette libération progressive des fonds des prêtres inquiétés va permettre à la Société de se constituer progressivement un patrimoine immobilier important dans Paris. Mais cette étape sera l'objet d'un prochain post, celui-ci se faisant un peu long et décousu.

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