lundi 18 février 2008

Cet étrange Monsieur Silvy...

Quand on travaille sur Port-Royal, on croise forcément un jour où l'autre le nom de Louis Silvy.

Il est généralement connu comme "le propriétaire de Port-Royal des Champs au début du XIXe siècle", et c'est tout. Or cet homme, véritable labyrinthe historique à lui tout seul, a une importance capitale dans la mémoire spirituelle, matérielle et archivistique de Port-Royal et du jansénisme.

Louis Silvy est né à Paris le 27 novembre 1760. Il est le fils d'un conseiller auditeur en la Chambre des Comptes, Louis-Melchior Silvy. C'est une famille d'honnête bourgeoisie, de ce qu'on appelle la "robe", c'est à dire tout ce qui touche au droit sous l'Ancien Régime. Les juristes de cette deuxième moitié du XVIIIe sont généralement proches du jansénisme, par tradition et opposition latente à la monarchie absolue. La famille de Louis Silvy, sans être connue particulièrement pour son jansénisme, semble entrer dans ce cadre.

Louis Silvy reçoit une éducation soignée, notamment par un bénédictin, Dom Deforis, qui a publié (semble-t'il avec l'aide du jeune Silvy) les œuvres de Bossuet, et qui est honorablement connu à l'époque pour ses travaux historiques. Louis Silvy succède à son père dans sa charge de conseiller à la Chambre des comptes en 1780.

Les débuts de la Révolution ne semblent pas affecter outre-mesure Silvy, même s'il perd sa charge. Il est assez fortuné pour vivre sans travailler. D'autant plus qu'avant la Terreur il épouse Rosalie-Thérèse Boudet, jeune fille issue d'une famille de parlementaires jansénistes et très à l'aise financièrement.

Le jeune couple s'emploie à prodiguer comme il le peut la charité, utilisant sa fortune au service des pauvres du quartier. Rosalie demande à son mari (et obtient l'autorisation) de vendre ses bijoux pour les nécessiteux. Louis passe sa vie dans l'étude des textes religieux et ecclésiastiques, se forgeant une connaissance extrêmement approfondie des problèmes touchant au jansénisme, au richérisme et à la théologie en général.

Il devient, à la réouverture des églises, secrétaire de la fabrique de Notre-Dame des Blancs-Manteaux à Paris, c'est-à-dire qu'il s'occupe officiellement de l'accueil des pauvres de cette paroisse, il est "commissaire aux pauvres". Dans la notice nécrologique qui lui est consacré par la Revue Ecclésiastique en 1847, il est dit de lui que "malgré sa vivacité naturelle, il écoutait avec patience les indigents, même les Juifs, qui sont en grand nombre dans ce quartier".

Pendant ce temps, il tisse des liens avec le réseau janséniste parisien. Sans être vraiment intégré à la toute jeune Société qui naît en 1802, il en est proche. Sa femme meurt en 1809, à 32 ans à peine, sans lui laisser d'enfant. Elle laisse une aura de piété, de talents, de charité. À partir de cette époque, Louis Silvy mène une vie d'intense austérité : il dort sur une paillasse, jeûne tous les vendredi, s'impose la récitation des offices de l'Église etc... Il a une vie de laïc faite entièrement de piété, de lectures et d'études théologiques.

Lorsque Napoléon Ier ramène à Paris les archives du Vatican, Louis Silvy se débrouille pour y avoir accès. Il cherche sans doute à retrouver dans ces archives des documents concernant les condamnations du jansénisme au XVIIe siècle et au début du XVIIIe siècle. Il recopie une partie de ces archives. Il a en effet l'obsession du combat janséniste. C'est un des derniers à s'opposer, dans les mêmes termes qu'au début du XVIIIe siècle, au Pape. En 1813, il écrit et publie trois discours contre la Bulle Unigenitus... proclamée en 1713.

Louis Silvy semble souvent mener un combat d'arrière-garde. Il est un polémiste virulent, acharné, qui ne rate jamais sa cible et s'appuie sur une connaissance sans faille de l'Histoire de l'Église et du jansénisme.

Ses principaux combats sont d'une part la "persécution" des fidèles de la Petite Église de Lyon, et d'autre part le combat contre le rétablissement des Jésuites en France.

Concernant la Petite Église de Lyon, Silvy a une attitude mesurée à l'intérieur du monde janséniste mais acharnée au-dehors. Il n'a jamais voulu, pour lui-même, quitter l'Église de fait en refusant le Concordat de 1801, tout comme il avait refusé l'Église constitutionnelle (surtout qu'il est très royaliste). Il ne partage pas non plus le versant convulsionnaire de la communauté lyonnaise. Au sujet des convulsions, il en appelle à un "sévère discernement" concernant les prophéties et les secours, et condamne les grands secours. Mais cela ne l'empêche pas de soutenir individuellement de nombreux convulsionnaires, et de se battre publiquement pour que le Cardinal Fesch, archevêque de Lyon et oncle de Napoléon, cesse ses tracasseries (que lui appelle persécutions) contre la Petite Église lyonnaise. Il écrit à ce sujet de nombreux pamphlets, qui sont d'une rare cruauté pointilleuse.

Le retour des Jésuites dans la France du début de la Restauration (en 1816) est pour lui un désastre. Il va se battre sans relâche contre eux, les accusant de vouloir ruiner la France, de revenir pour se venger de leur expulsion de 1763 et de projetter la corruption de la jeunesse française dans leurs collèges. Son combat n'est que très peu relayé dans le clergé, pourtant encore majoritairement gallican à l'époque.

En 1824, Louis Silvy hérite de la fortune importante de sa mère. Il va dès lors s'en servir pour la cause janséniste : il achète, avec une tontine issue de la Société de Port-Royal, les ruines de l'abbaye de Port-Royal des Champs. Lui-même s'installe à Saint-Lambert des Bois, dans une grosse maison encore de nos jours connue sous le nom de "maison Silvy". Il y installe des écoles gratuites, à Saint-Lambert en 1829 et dans le village voisin de Magny les Hameaux en 1835. Il se fera d'ailleurs enterrer à Saint-Lambert juste à côté du "carré de Port-Royal" qui renferme les ossements déterrés du monastère à sa destruction.

Il effectue un certain nombre de travaux de réparations et d'assainissements à Port-Royal. Il fait creuser un bras supplémentaire au grand canal qui traverse le domaine, lui donnant ainsi la forme d'une croix. Il fait construire un oratoire à l'emplacement du chœur de l'ancienne église monastique. Il fait également planter des tilleuls à l'emplacement de l'ancien cloître, ce qui donne encore aujourd'hui une bonne perspective des dimensions des bâtiments monastiques.

Louis Silvy passe alors le plus clair de son temps à Port-Royal. Il correspond non seulement avec le réseau janséniste parisien, qu'il vient visiter de temps en temps, mais aussi avec les jansénistes de toute la France et même de l'étranger. Il est particulièrement proche de l'abbé François Jacquemont, qui est une figure emblématique des jansénistes convulsionnaires du Forez. Outre le soutien apporté aux lyonnais, il correspond également avec la petite communauté janséniste toulousaine, avec des prêtres anticoncordataires ou gallicans du Morbihan, de la région de Troyes, d'Orléans. Il a également quelques liens avec la Petite Église d'Utrecht.

Louis Silvy ne fait pas mystère de son attachement au jansénisme. Il est vu partout, dans la presse notamment, comme le héraut des jansénistes. C'est peut-être d'ailleurs ce qui a permis aux autres de ne jamais apparaître comme tels au grand jour. Cependant, il est intéressant de noter qu'il n'a jamais appartenu formellement à la Société de Port-Royal.

Louis Silvy a deux autres facettes originales et intéressantes, qui permettent de donner encore un peu plus d'épaisseur à ce personnage central du monde janséniste.

En effet, Louis Silvy est non seulement un chrétien engagé, mais également un agronome novateur. Dès avant la Révolution, il avait acheté le domaine de Chamgueffier, en Seine et Marne. Il s'y livre à l'élevage de moutons mérinos, encore très peu pratiqué à l'époque. C'est là que son beau-frère va faire des expériences de vaccination sur les moutons, se montrant donc très novateur pour l'époque. Il poursuit ces activités dans le domaine de Chatou qu'il achète en 1804, mais semble abandonner ces activités en 1812. (1)

Louis Silvy se retrouve également embarqué dans une des plus curieuses histoires de la Restauration, celle de Martin de Gallardon. Ce laboureur dit avoir un ange qui lui apparaît régulièrement et qui lui demande d'aller voir le roi Louis XVIII pour que celui-ci redonne à la France une mentalité plus religieuse. Il serait trop long de raconter ici toute l'histoire de ce Martin, qui finit cependant par rencontrer le roi, qui est jugé demi-fou par les psychiatres de l'époque, et qui termine en fervent soutien du faux-dauphin Naundorff. Ce qu'il faut retenir, c'est que Louis Silvy va se faire le protecteur de Martin, écrire des défenses de ses visions, le soutenir financièrement et moralement, et partager ses déboires. Par l'intermédiaire de Martin, Louis Silvy tente (sans succès) d'intéresser la duchesse d'Angoulême à la cause janséniste et gallicane. Louis Silvy est furieusement royaliste, il trouve la Restauration bien trop fade, comme un succédané de monarchie de droit divin. Il pensait sans doute, en soutenant Martin, que celui-ci pourrait faire évoluer Louis XVIII vers un régime plus tourné vers la tradition. (2)

Ce portrait se fait long... Je terminerai en disant que Louis Silvy, mort en 1847, a été unaniment salué et vénéré dans le petit monde janséniste. Malgré cela, il est extrêmement difficile d'en savoir plus sur sa vie. Constamment en dehors des groupes, il n'a laissé que peu d'archives. Sa présence est constante, toujours présente derrière chaque action des réseaux jansénistes pendant la première moitié du XIXe siècle. Mais il donne l'impression de s'être trompé de siècle, d'avoir été fait pour les furieux combats parlementaires du XVIIIe siècle, ou pour les joutes théologiques acérées du XVIIe siècle. Comme perdu au milieu d'une nouvelle ère, il a mené des combats d'arrière-garde, mais avec une fougue et une détermination sans failles. Présence fascinante du monde janséniste, il n'a laissé que peu de pistes pour connaître sa pesonnalité. Seuls ses écrits parlent pour lui, et leur foisonnement laisse songeur sur le caractère de cet homme.

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(1) Ces informations sur le versant "agronomique" de Louis Silvy m'étaient totalement inconnues jusqu'à ce qu'un wikipédien curieux et passionné d'agronomie repère "mon" Louis Silvy, qui semblait correspondre à "son" Louis Silvy agronome, et que nous fassions le rapprochement. Jamais cet aspect de la vie de Louis Silvy n'avait été connu je crois dans les études jansénistes. Que "Nicod" soit donc vivement remercié pour cet apport biographique important.
(2) Au sujet de l'histoire de Martin de Gallardon, il faut lire le livre de Philippe Boutry et Jacques Nassif, Martin l'Archange, publié chez Gallimard en 1985. Une passionnante approche comparée entre un historien et un psychanalyste sur le "phénomène" Martin.

À lire également, les notices sur Louis Silvy et Martin de Gallardon sur Wikipédia.

1 commentaire:

Silvy Biviers a dit…

Je pourrais compléter par certains aspects familiaux cet article qui est une synthèse tout-à-fait utile et intéressante sur le personnage de Louis Silvy.

Il faut savoir que cette branche de la vieille famille provençale des Silvy est possessionnée dès la fin du XVIIème siècle à Bièvres. Un arrière-grand-oncle de Louis, Pierre Silvy, bourgeois de Paris, intendant des maisons et affaires du prince de Monaco, est propriétaire à Bièvres à partir de 1694 (c'est l'année de la publication des Cantiques spirituels par Jean Racine qui vient de se retirer à Port-Royal). Des auteurs ont ainsi pu faire état, sans guère de preuves, de l'implication des Silvy dans le mouvement janséniste, bien antérieurement à Louis Silvy. Le château actuel de Bièvres, mairie depuis 1901, fut construit en 1773 par le père ou le grand-père de Louis Silvy, déjà propriétaires de la seigneurie de Richeville sur la commune voisine de Vauhallan. "Qui peut encore imaginer la splendeur du domaine des Silvy à Bièvres, dont les jardins s’étendaient le long de la rivière" (Images du patrimoine, Canton de Bièvres). A côté du château, il y a toujours le Pavillon Silvy, charmante petite maison du XVIIIème siècle. Les possessions locales des Silvy s'étendaient sur Bièvres, Vauhallan, Saclay avec ses étangs,… Les biens immobiliers de Louis Silvy étaient considérables. A ceux mentionnés ici et là, il faut aussi citer un immeuble place Vendôme.

I. Antoine Silvy, procureur au Parlement de Provence, époux de Françoise d'Imbert, d'où entre autres :
II. Pierre Silvy (1639-1721) bourgeois de Paris, intendant des maisons et affaires du prince de Monaco, époux de Marguerite Legras; sans enfant, ils laissent comme héritier Melchior Silvy qui suivra. Une plaque rappelle leur souvenir dans l'église de Bièvres.
II. Jean-Baptiste Silvy, procureur puis avocat au Parlement de Provence, époux d'Elisabeth d'Astres, d'où entre autres :
III. Melchior Silvy (1680-1775) seigneur de Richeville, époux de Marie-Anne Favier, d'où :
IV. Louis Melchior Silvy (+ en 1786) chevalier, seigneur de Richeville, auditeur en la Chambre des comptes de Paris, époux de Louise Domilliers, fille d'Armand Anselme, écuyer, Greffier a la chambre des compte, et de Madeleine Etiennette Louise SECOUSSE; d'où :
V. Louis Silvy (1761-1847) chevalier, auditeur en la Chambre des comptes de Paris, époux de Rosalie Thérèse Boudet, fille d'un secrétaire de Louis XVI.
V. Sophie, épouse (le 17 décembre 1789 en la cathédrale Notre Dame de Paris) de Charles François Louis DELATTRE d'AUBIGNY, chevalier, auditeur en la Chambre des Comptes de Paris.