mardi 18 mars 2008

Généalogie convulsionnaire

J'avais parlé des convulsionnaires en janvier, surtout pour raconter l'origine du mouvement et présenter quelques textes. Aujourd'hui, je vais me pencher sur les différents groupes, afin de vous faire comprendre un peu qui étaient ces convulsionnaires.

Ce n'est pas mon sujet de recherche principal. Les convulsionnaires ont été principalement étudiés par Jean-PierreChantin, je renvoie donc au livre qui reprend les principales conclusions de sa thèse (1).

J'aimerais faire un joli graphique pour montrer les différents mouvements, avec leurs filiations, mais ce fichu blog ne le permet pas (et ce n'est pas faute d'avoir essayé de faire un truc simple mais compréhensible).

Donc je vais essayer d'être claire. Tous ces mouvements se rattachent bien sûr non seulement au jansénisme du XVIIe siècle et à Port-Royal, mais également au mouvement convulsionnaire né sur la tombe du diacre Pâris. Les groupes convulsionnaires parisiens sont à la source de ceux du reste de la France.

Au cours du XVIIIe siècle, se développe ce qu'on appelle le mouvement pineliste. Il est basé sur l'action de Michel Pinel, un oratorien professeur au célèbre collège de Juilly puis à Vendôme, qui quitte son ordre au milieu du XVIIIe siècle pour se consacrer à l'Œuvre des convulsions. Il s'entoure de deux visionnaires, la "sœur" Angélique Babet, dite "la paysanne" (une des plus importantes convulsionnaires parisiennes) et une "sœur" Brigitte. Il est proclamé "Premier pontife de l'Œuvre" par ses adeptes, et parcours la France dans les années 1770, de Saumur au Languedoc et jusqu'à la région lyonnaires.

Pinel est l'auteur d'un livre fondamental pour les convulsionnaires : l' Horoscope des temps ou conjonctures sur l'avenir fondées sur les Saintes Écritures et sur de nouvelles révélations. Ce livre est un exemple parfait du figurisme : Pinel y annonce l'avènement du prophète Élie, le retour des Juifs dans l'Église après que celle-ci aura été purifiée. L'Œuvre des convulsions est un groupe d'élus qui se prépare à accueillir le règne du Christ pour mille ans, avant une nouvelle mort et une nouvelle résurrection.

Le mouvement pinéliste va notamment s'implanter à Lyon et dans sa région à partir des années 1770, et être à l'origine de plusieurs mouvements distincts.

- Le premier mouvement est celui des "Amis de l'Œuvre des convulsions", à Lyon et Saint-Etienne. Il se développe dès avant la révolution, grâce notamment à la tolérance de l'évêque de Lyon, Mgr de Malvin de Montazet. Les collèges oratoriens et dominicains de Lyon sont très favorables au jansénisme et on compte près d'une centaine de prêtres appelants (contre la bulle Unigenitus).
Cela va favoriser la formation et l'accès à la prêtrise de jeunes hommes qui vont ensuite se consacrer à l'Œuvre, comme les frères Bonjour ou l'abbé François Jacquemond.
Le premier groupe lyonnais connu date de 1778. Il est fondé par des laïcs, qui se réunissent autour de quelques ecclésiastiques. L'adhésion est familiale, ce sont des groupes entiers qui rejoignent l'Œuvre, contrairement à ce qui a pu se passer à Paris où l'adhésion est plus individuelle. C'est sans doute une des clés de la pérennité convulsionnaire à Lyon.
Les groupes sont dirigés par de grandes familles bourgeoises ou de noblesse récente, mais le recrutement est beaucoup plus populaire.

- Ce groupe initial va donner naissance à d'autres groupes, qui s'éloignent les uns des autres au fil du temps.
* À Lyon, le groupe reste assez mesuré face aux secours, et s'oriente davantage vers le figurisme et les prophéties. À la Révolution, il se place du côté royaliste et réfractaire à la constitution civile du clergé. Au moment du Concordat de 1801, il refuse de reconnaître l'évêque nommé conjointement par Rome et Bonaparte, et sort alors de l'Église. Les groupes sont dirigés par des prêtres anticoncordataires puis, après la disparition de ceux-ci dans les années 1840, sont uniquement composés de laïcs. Ils perdurent jusqu'à nos jours. Au moment du Concile Vatican I (1870), deux membres de ce groupe ont tenté une démarche à Rome pour se faire entendre, mais ont finalement échoué à s'entendre avec le Vatican. De même, des contacts ont été menés par le diocèse de Lyon au milieu du XXe siècle, sans succès. Ce groupe, qui compte plusieurs grosses familles lyonnaises et du Beaujolais, est encore fort de plusieurs centaines de personnes aujourd'hui, même si la modernité et les mariages "mixtes" le font disparaître progressivement. À la fin du XIXe, il a largement financé les activités port-royalistes parisiennes, notamment grâce aux fortunes des familles Rolland (industriel) et Berliet (concepteurs de la firme automobile Berliet).

* Un autre groupe, nettement plus engagé dans les convulsions, est le groupe bonjouriste du Forez. Deux frères, les abbés Claude et François Bonjour, "convertissent" leurs paroisses dans les années 1770-1780. Ils créent également des groupes dans les Dombes, notamment à Fareins. Ils sont connus hors de leurs paroisses notamment par un évènement survenu en 1787, qui met brutalement en lumière une Œuvre que beaucoup pensaient à l'agonie. À Fareins, l'abbé François Bonjour, curé du village, crucifie dans l'église paroissiale une des prophétesses du village, assisté de son frère Claude et de deux autres prêtres. L'évènement est public et donne lieu à une enquête de l'évêque. François Bonjour est emprisonné, ce qui lui donne une aura de martyr et en fait une des figures de proue de l'Œuvre. À la faveur de la Révolution, il revient dans sa paroisse. Ses partisans chassent le curé qui l'avait remplacé, et le groupe entier devient ultra-révolutionnaire. Ils considèrent les évènements comme l'épreuve attendue de régénération que prédisaient les prophéties. Ils sont sincèrement républicains et J-P Chantin montre que jusqu'au XIXe siècle, on trouve dans les intérieurs fareinistes des portraits de Robespierre, de Marat et de Danton à côté des gravures jansénistes.
François Bonjour est, en août 1792, devenu le "père charnel" d'un petit garçon. Celui-ci est aussitôt reconnu comme étant le prophète Élie. Les cantiques jansénistes chantent l'évènement, passant outre la réprobation morale de l'acte : De notre Dieu la voix puissante / dit : qu'un homme soit reconçu ! / aussitôt une humble servante / dans son chaste sein l'a reçu… / c'est une œuvre incomparable / qui paraît depuis soixante ans / qu'Élie comme en une étable / naît pour réunir ses enfants.

Le jeune Élie doit devenir l'Esprit Saint le jour de ses 14 ans. Il devra subir des maux de plus en plus durs pour respecter les prédictions divines, mais le sacrifice de ce prophète-Paraclet devra précéder la fin des temps. Mais suite au constat que finalement cette fin des temps n'arrive pas, le groupe bonjouriste se réduit considérablement à partir des années 1815-1820.

* Le dernier groupe est celui incarné par François Jacquemont, curé de Saint-Médard en Forez. convulsionnaire modéré, révolutionnaire modéré, Jacquemont est une sorte de conscience morale du mouvement janséniste. Après le concordat, il prêche pour des relations partielles avec l'Église et est ce qu'on appelle un "communicant". Il entretient de nombreuses relations avec les groupes jansénistes de toute la France, et notamment avec Louis Silvy. Mort en 1835, il laisse derrière lui un groupe très fort dans le Forez, qui donne lieu ensuite au phénomène des béates et des béguins de Digonnet, dont je parlerai une autre fois.

Ce très long post avait pour but de présenter les principaux groupes convulsionnaires de la région lyonnaise. Il est évident qu'il y avait d'autres groupes en France, hors de Paris. Les groupes de Toulouse notamment sont encore mal connus, mais étaient en lien étroit avec les Lyonnais. Grosso modo, on trouve toujours cette distinction en trois groupes, l'un anticoncordataire, l'autre violemment convulsionnaire et très détaché de l'Église, le dernier communicant. D'une manière ou d'une autre, tous ces groupes issus de la fin du XVIIIe siècle ont perduré jusqu'au milieu du XIXe sous une forme organisée, puis de façon plus informelle et édulcorée jusqu'au début du XXe siècle, voire jusqu'à nos jours à Lyon.

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(1) à lire : Jean-Pierre Chantin, Les Amis de l'Œuvre de la Vérité. Jansénisme, miracles et fin du monde au XIXe siècle, PUL, 1998.

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