vendredi 7 novembre 2008

Manuels scolaires et discriminations : quand la HALDE veut modeler les consciences

Voilà un "post" polémique, et je l'assume. Je ne sais pas si mon avis est partagé ou totalement minoritaire, mais je n'aime pas quand des choses pour lesquelles je suis en profond désaccord se font sans que la société ne semble se poser la moindre question.

En écoutant les informations hier, j'entends que la HALDE (Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l'Égalité) recommande de lutter contre les discriminations via les manuels scolaires.

La dépêche AFP qui parle de cette recommandation cite ainsi Louis Schweitzer, président de la HALDE : "Les manuels scolaires ne sont ni racistes ni sexistes, mais ils sont plutôt le reflet d'hier que le reflet de la société que nous voudrions voir dans l'avenir". Il ajoute ensuite : "il faut changer les représentations", en allant même "un peu au-delà de la réalité à un moment donné", afin de "donner une image en ligne avec l'ambition qu'on a pour la société".

Ces propos font suite à une étude des manuels scolaires, qui montre apparemment une image jugée trop traditionnelle de la société, où plutôt, si je comprends bien, une image trop réelle de la société : la femme a un statut socio-professionnel inférieur à l'homme, l'immigré est moins riche que le "natif", le handicapé est pauvre, etc. Pour la HALDE, ces représentations tendent à entretenir les situations de discrimination.

Pourquoi, me direz-vous, s'insurger contre les préconisations de la HALDE ? Celle-ci indique avec justesse que la question des discriminations est abordée en classe de 5e, lors des cours d'éducation civique. Pour avoir assuré ces cours, je confirme et me sens concernée, et même d'une certaine part "accusée" par la HALDE.
D'autre part, j'ai eu l'occasion de faire une étude assez approfondie de manuels scolaires lors de mon travail de maîtrise, analysant les discours de près de 200 manuels sur une période de 100 ans. Mon sujet n'était pas la discrimination mais le jansénisme, soit. Ceci dit, je pense avoir quelques lumières sur la problématique des discours véhiculés par les manuels scolaires.

Ces deux raisons font que je ne suis pas d'accord avec l'option que préconise la HALDE : faire avancer la société en prenant comme outil de propagande (dans le sens originel du mot : "action psychologique qui met en œuvre tous les moyens d'information pour propager une doctrine, créer un mouvement d'opinion et susciter une décision" selon le TLFI) les manuels scolaires, et donc par conséquent les enfants.

- L'utilisation des manuels comme outil de modelage des consciences me rappelle la IIIe république, où les instituteurs républicains avaient pour mission d'enraciner la République en "convertissant" les enfants contre leurs parents. Il faut voir les leçons d'histoire des manuels de la fin du XIXe siècle pour comprendre ce qu'est une propagande scolaire : manipulation et simplification à l'extrême des faits historiques, vision manichéenne de l'histoire, dénigrement de la monarchie et de l'Église, tout était bon pour arriver au but visé. Il me semblait qu'on avait un peu évolué, depuis. Apparemment non.

- De même que je suis contre les lois mémorielles (voir mon post du 9 octobre) parce que l'État n'a pas à imposer une vision de l'histoire, de même je suis opposée au principe même d'aller "au delà de la réalité" de la société pour faire progresser cette société, aussi louables en soient les buts. L'enseignant est là pour enseigner, pas pour faire progresser la société. Si celle-ci ne va pas "assez vite", ce n'est pas à l'enseignant d'en être responsable, mais à la société.

- Utiliser les enfants pour faire changer les idées me semble être une chose assez contestable sur le fond : l'enfant est influençable, il écoute son professeur et a tendance à considérer son propos comme incontestable, le professeur fait autorité. Cette autorité me paraît légitime pour la transmission des connaissances, mais je refuserais de l'exercer pour la transmission d'un discours autre que celui de la transmission des connaissances.

- Pour finir, les recommandations de la HALDE me semblent aller dans le mur : représenter les choses non pas telles qu'elles sont mais telles qu'elles devraient être, c'est accepter le travestissement des faits au nom d'une idée politique, et c'est risquer d'aboutir à un résultat contre-productif : si j'enseigne à mes élèves que les personnes handicapées souffrent de discriminations et que notre devoir de citoyens est de faire en sorte que la vie normale leur soit facilitée, si j'explique que l'environnement est mal adapté pour ces personnes, est-il plus intéressant pour soutenir mon discours d'enseignant d'avoir des illustrations montrant concrètement les problèmes rencontrés (escaliers infranchissables en fauteuil, trottoirs trop hauts, etc) ou une image toute belle-toute rose de personnes ne rencontrant pas le moindre problème ?
Quand on s'adresse à des grands enfants, je trouve qu'il est plus intéressant de partir de la réalité et qu'ils réfléchissent eux-mêmes, aidés par l'enseignant, à la manière dont les choses peuvent être améliorées, que de leur montrer l'image souhaitée en disant "c'est ça qu'on veut", en ignorant volontairement la réalité.
Je suis désolée, mais il y a encore de grandes différences de statuts sociaux entre l'homme et la femme, le "blanc" et l'immigré, le bien-portant et le handicapé, etc. Les gommer sur le papier, les nier, cela revient finalement à prendre le risque que nos enfants croient qu'il n'y a pas de problèmes (puisque ces problèmes n'apparaitront pas dans les manuels).

Ce qui me désole, c'est que les réactions à cette recommandation de la HALDE sont d'une unanimité affligeante : les éditeurs de manuels vont s'y plier. À ma connaissance, la HALDE a un pouvoir de proposition, de recommandation, elle peut proposer une loi, mais je ne savais pas qu'on devait dire Amen et obéir à la moindre de ses injonctions. Mais apparemment, la peur d'être politiquement incorrect est si forte, la volonté d'être progressiste si présente chez tout le monde, qu'il n'est même pas la peine de réfléchir à ce que peut dire la HALDE : elle a parlé, on obéit.

Et bien moi non. Et je suis contente de ne plus enseigner. Ce genre de choses m'aurait profondément énervé, comme toutes les injonctions faites par des gens qui visiblement n'ont pas conscience de ce qu'il se passe dans ce petit cocon qu'est une classe.

- actualisation quelques heures après : je viens de voir que l'Observatoire du communautarisme, groupe de réflexion sur la laïcité, les discriminations etc. a traité le sujet avec brio. Allez lire, ils ont eu l'étude exhaustive sous la main, ça a l'air de valoir le détour...

mardi 4 novembre 2008

Étonnant

Hier, l'article jansénisme de Wikipédia était en page d'accueil de l'encyclopédie en ligne.

Vu en moyenne 400 fois par jour habituellement, hier il a été vu 3700 fois environ. Impressionnant... Malgré tout cela, il n'y a eu que 5 modifications dessus, dont un vandalisme pipi-caca.

(oui je sais ce post n'a aucun intérêt en soi, mais je suis contente que 3700 personnes aient eu la curiosité d'aller voir ce que voulait dire ce mot, "jansénisme".)