dimanche 13 janvier 2008

Convulsons mes amis, convulsons...

Une curiosité de la mouvance janséniste, ces convulsionnaires...

C'est le côté croustillant mais peu connu de l'histoire de Port-Royal et du jansénisme. Généralement ça plait au public, forcément, du sang, des larmes, c'est plus vendeur que la théologie...

Alors qui sont ces convulsionnaires et pourquoi convulsent-ils ?

Reprenons les choses au début :

Port-Royal est vidé de ses dernières religieuses en 1709, rasé en 1713 sur ordre de Louis XIV. Les choses ne se font pas sans douleur. Lors de la destruction du monastère, les corps enterrés depuis des siècles dans l'abbaye sont exhumés, jetés dans une fosse commune dans le village voisin de St Lambert des Bois. D'après la légende (et Sainte-Beuve), les chiens errants se disputent quelques os qui traînent sur le sol. Forcément, c'est un traumatisme pour tous les fidèles jansénistes. La même année, le pape condamne, par la Bulle Unigenitus, les positions théologiques jansénistes.

Les jansénistes sont donc traqués de toute part, et se sentent martyrs.

Quelques années plus tard, alors qu'un grand nombre de curés (parisiens notamment) font appel de la décision du pape (ce pourquoi on les nomme "Appelants") et réclament un Concile général de l'Église pour régler cette histoire, un diacre, François de Pâris, meurt à Paris en 1727. Il est bon, il est charitable, aimé des pauvres, il vit volontairement dans la misère, et il est appelant. Le peuple se rend sur sa tombe, au cimetière Saint-Médard. Très rapidement, on dit que des miracles ont lieu sur sa tombe. Forcément, cela sert la cause janséniste. Si miracle il y a sur la tombe d'un janséniste, c'est que cette cause est soutenue par Dieu. Le petit peuple parisien se presse, il commence à faire des démonstrations de dévotion assez démonstratives. Et puis un jour, certaines personnes entrent en convulsion sur cette tombe. Elles se mettent à délivrer des messages étranges, comme quoi l'Église est perdue, qu'elle doit revenir sur la Bulle Unigenitus.

Les autorités n'aiment pas cela. Toute cette agitation est mauvaise, elle entretient un climat de rébellion envers l'Église et le pouvoir. Les bourgeois et les aristocrates regardent ces manifestations d'un œil tantôt goguenard, tantôt crédule. La foule se presse. En 1732, le cimetière est fermé. Une main malicieuse écrit sur une pancarte : "De par le Roi, défense à Dieu de faire miracle en ce lieu". Alors les convulsions entrent dans leur période souterraine, la plus étrange, la plus outrée.

Dans les salons de la toute petite bourgeoisie, on se réunit. On lit des textes exaltant Port-Royal et le diacre Pâris, on s'échauffe. Les femmes entrent dans une sorte de transe mystique, parlant en termes étranges de l'Apocalypse, des maux de l'Église. Et puis elles deviennent l'Église souffrante, perdue par les erreurs du pape et des évêques. Pour représenter cette Église malmenée, elles se font frapper. Il y a les "petits secours", qui consistent en des coups de bûches, des coups de poings, des brutalités. Ils aident la personne à délivrer son message. Il y a aussi les "grands secours", beaucoup plus impressionnants. On se larde de coups d'épée, on s'enfonce des clous dans la tête pour figurer la couronne d'épines du Christ, quelques fois on crucifie la personne.

C'est très étrange. J'ai lu plusieurs fois des récits de ces séances de convulsions. On est saisi, d'une part par le ton très calme, très posé avec lequel le narrateur décrit ces scènes, comme si cela était absolument logique, d'autre part par le discours complètement exalté qui se tient dans ces séances. Prophéties diverses, violence extrême contre l'Église, les mots sont forts, les mots font peur.

Il faut parfois avoir le cœur bien accroché pour lire tout cela. Il est assez incroyable de lire ces récits en pensant qu'on est au siècle des Lumières, ce fameux siècle où la rationalité est sensée gagner la France. Cela relativise beaucoup certaines idées reçues.

Si l'œuvre des convulsions est principalement parisienne, elle gagne cependant le reste de la France au milieu du XVIIIe siècle. Au moment où à Paris la répression tente de contrer ce mouvement, des communautés se forment, à Argenteuil, à Lyon, dans le Forez. Des curés entraînent leurs paroissiens, deux d'entre eux crucifient à plusieurs reprises des femmes en 1785. La répression les suit, les communautés entrent alors dans la clandestinité, s'éloignent de plus en plus du monde, prennent un mode de fonctionnement de secte.

La Révolution est un moment crucial pour ces groupes. Pour certains, c'est la fin du monde. Curieusement, des communautés comme celle de Lyon deviennent ultra-royalistes, considérant que l'Antéchrist a pris ses marques en France. D'autres, comme celles du Forez, sont au contraire très révolutionnaires, voyant là une occasion de régénération inespérée. Jean-Pierre Chantin raconte bien dans sa thèse comment on peut trouver, au début du XIXe siècle, des portraits de Robespierre à côté de ceux du diâcre Pâris dans les intérieurs jansénistes.

Il faudra que je parle encore des convulsionnaires, c'est vraiment un sujet fascinant. Mais pour ceux qui sont intéressés, je recommande dès maintenant la lecture de deux livres :
- Catherine-Laurence Maire, Les convulsionnaires de Saint-Médard : miracles, convulsions et prophéties à Paris au XVIIIe siècle, dans la collection Archives de Gallimard (1985). C'est un recueil de textes d'époque, présentés et commentés par une des premières historiennes s'étant penchée sur le phénomène.
- Jean-Pierre Chantin, Les amis de l’Oeuvre de la Vérité : Jansénisme, miracles et fin du monde au XIXe siècle aux Presses universitaires de Lyon (1998). J.P Chantin se penche sur la fin de la période des convulsions, notamment en région lyonnaise, un ouvrage passionnant.


Aucun commentaire: