dimanche 13 janvier 2008

Les convulsions dans le texte...

Pour donner un peu de consistance à mes propos sur les convulsionnaires, je vous livre quelques textes d'époque, pour comprendre un peu de quoi il s'agit.

Tout d'abord, un macabre comptage qui concerne une "sœur" dite Sœur Crosse (Catherine Turpin), en 1761 :

"22 novembre : 2 000 lardements d'épée. La nuit précédente, elle en avait reçu une quantité inombrable. Elle appelle cela écrire sur son corps qui sert de Table (en références aux Tables de la Loi de la Bible). Pour le sang qui en sort, elle dit que ce sont des récompenses.
1er décembres : 1 000 coups d'épée et environ autant de coups de bûchettes. La buche ne pouvait lui suffire mais pour l'épée qui la soulageait bien davantage, elle la baisait et la caressait comme quelque chose qu'un enfant aimerait beaucoup. En général, les secouristes
(ceux qui procurent les "secours", donc les coups) sont plutôt tendus de fatigue que la sœur rassasiée de secours. Elle a dit : ''que Dieu se choisira des enfans qui se retireront dans des coins et qui sentiront là tous les coups que l'on porte à notre bonne mère l'Église."


Vient ensuite le supplice de la crucifixion. Un médecin, le Dr Morand, assiste à des séances en 1759-1760 et rapporte ainsi les faits dans un Rapport des opérations faites à Paris par plusieurs personnes que l'on disait faire des miracles :

"Je commence l'histoire de Félicité par la cérémonie la plus forte et la plus digne d'attention à laquelle ces filles s'étaient soumis : le Crucifiement ou la Crucifixion, car elles se servaient également de ces deux termes. Il est bon d'observer :
1- Qu'elles avaient à l'endroit des main et des pieds qui devaient recevoir les clous, des cicatrices fort dures par les opérations multipliées dans les mêmes endroits, lesquelles cicatrices expliquent le peu de sensibilité qu'elles doivent avoir lors de l'opération, où s'était fait une espèce de calus.
2- Il faut encore remarquer l'adresse qu'y mettait le sieur La Barre, étudiant d'abord l'endroit de la main qu'il devait percer en la tenant relâchée par la flexion des doigts. C'était presque au milieu de la main entre le troisième et le quatrième doigt ; c'est là où je lui vis enfoncer d'un seul coup de marteau un clou, de ceux que l'on appelle "demi-picards", fort aigu, peu épais, ayant quatre faces et une grosse tête. Le clou traversa la main et s'attacha à la croix, dans laquelle je jugeai qu'il devait être enfoncé de fort peu. La même chose fut faite aux deux pieds, à quelque distance au-dessous des doigts entre le troisième et le quatrième et pour cela ils furent placés convenablement pour la sûreté et la prestesse de l'opération.
Félicité ne donna point à chaque opération de marque de douleur, lorsqu'elle fut en croix elle montra de la gaieté tournant la tête de côté et d'autre et liant conversation avec ceux de l'assemblée qui voulaient bien s'y prêter. Elle avait une robe de coutil, religieusement conservée par elle, ayant servi à une fameuse convulsionnaire et l'une des saintes du parti : Gabrielle Mouler.
Félicité resta dans cet état près d'une demi-heure, je remarquai que ses plaies n'étaient point du tout ensanglantées, et qu'elles fournirent très peu de sang lorsqu'on ôta les clous.

Après cette cérémonie, Félicité demanda qu'on lui perçat la langue. Sur le champ, le Papa (c'est ainsi qu'elle nommait le sieur La Barre), alla chercher un petit bout de lame d'épée qui à force d'être diminué d'épaisseur ressemblait à un stylet : ayant saisi la langue par le bout avec deux doigts de la main gauche, il la perça de part en part à environ un pouce de son extrêmité. Au même endroit le Papa lui fit, avec un autre instrument bien tranchant, une légère incision en croix qui fournit quelques gouttes de sang aisément étanchées."


Comme on le voit, les secours vont loin. Mais tout cela est accompagné le plus souvent de messages, sous forme d'imprécations ou de prophéties. J'en avais trouvé une, qui "annonçait" un certain nombre de joyeusetés, je vous la livre toute brute, elle donne une bonne image de l'ambiance qui pouvait régner dans ces séances :

"Je vois un tems comme si nous n'avions ni roi, ni prince ; le parlement est abattu, le sceptre s'en va, le diadème va devenir le jouet d'une multitude de furieux. La sœur a vu un peuple crochu qui se propose de détrôner le roi. Louis XVI sera détrôné. Peut-être attentera-t'on à sa vie. Anathême contre les rois et leurs sujets, contre les pasteurs et leurs brebis.
Paris, malheureuse ville, je te rendrai déserte ; tes habitans vont te quitter, tes prêtres te maudire (...). Les Nègres, les Sauvages vont entrer en France ; ils détruiront tout, et tout sera renversé jusqu'au culte extérieur. La sœur parle de nouvelles écoles pour l'erreur, d'un nouveau catéchisme, d'une nouvelles doctrine, de mauvais traitemens à ceux qui s'opposeront à ces maîtres du mensonge. Il y aura à Rome un concile par dépit, et qui ne produira que désastres. "

On pourrait s'amuser à relier chaque annonce à un évènement historique postérieur à cette prophétie de 1785. C'est assez facile, on lit toujours ce qu'on veut lire. Mais il est évident que la vision du monde des convulsionnaires est assez apocalyptique. Une autre fois, je parlerai de leur millénarisme et de leur relation particulière au judaïsme, il y a matière.


note 1 : j'ai respecté l'orthographe et la ponctuation des textes de l'époque, non non, je ne fais pas autant de fautes que ça normalement ! :-)

note 2 : les deux premiers textes sont conservés à la Bibliothèque de Port-Royal mais on peut en lire de semblables dans le livre de Catherine Maire. Le troisième, je l'ai trouvé sous la forme de feuillet volant dans le manuscrit des Mémoires de l'abbé Grégoire, à la Bibliothèque de l'Arsenal (BNF). C'est assez cocasse, quand on sait que Grégoire (qui était assez jansénisant, j'en parlerai un de ces jours) est le libérateur des noirs et des juifs pendant la Révolution. Enfin, on verra que tout cela n'est pas incompatible, loin de là.

Aucun commentaire: