vendredi 25 avril 2008

Le Désert de la grâce

Après un long moment de silence, je reviens ici...

J'ai l'occasion de lier une de mes dernières lectures avec un sujet dont je voulais parler depuis longtemps. Je viens de terminer la lecture d'un livre sorti à l'automne sur Port-Royal. Il s'agit d'un roman de Claude Pujade-Renaud, Le Désert de la grâce.

Je ne connaissais pas cet auteur, j'ai entendu parler de son livre par le "réseau" de port-royalistes. D'après ce que j'ai pu voir des autres romans de cette dame, elle s'intéresse particulièrement aux femmes. Et elle a eu l'excellente idée d'écrire un roman sur les femmes de Port-Royal. Un roman sur la fin de Port-Royal, plus précisément.

On y croise les demoiselles de Joncoux et de Théméricourt, patientes et infatigables collectrices et copistes des manuscrits sauvés de Port-Royal, Marie-Catherine Racine, fille du poète, Charlotte de Roannez, amie passionnée de Pascal, Magdeleine Hortemels et bien d'autres encore.

L'ambiance générale y est sombre. C'est la fin de Port-Royal, le scandale de la destruction, l'horreur des corps déterrés. C'est l'impression de fin d'un monde. Un roman gris et mélancolique, qui pousse à la réflexion tout en peignant avec finesse l'âme humaine et ses doutes. Un roman dont l'ambiance générale fait penser à ces tableaux hollandais où la finesse et la pénombre, où les tons ocres, gris et marrons donnent un certain vague à l'âme et plongent dans une réflexion mélancolique sur la vie.

Pour moi qui "fréquente" Port-Royal depuis maintenant quelques années, et spécialement le Port-Royal mort, le Port-Royal mythique des XVIIIe et XIXe siècles, ce livre est un petit bijou. Oh, certainement que les spécialistes y trouveront à redire sur l'exactitude historique ou l'interprétation qui est faite des pensées des port-royalistes, mais moi je me suis régalée.

Quel délice de voir vivre, évoluer, parler, penser des êtres qui sont tellement figés dans le passé ! Ces noms que je croise depuis des années, je les ai enfin vus incarnés, avec beaucoup de délicatesse et une justesse étonnante. Oui, vraiment, ce roman reflète à mon avis très bien l'ambiance à la fois triste et active des milieux port-royalistes après la fermeture et la destruction du monastère. Fatalisme et détermination, incompréhension et révolte, ces femmes cherchent par tous les moyens à faire vivre Port-Royal, par ses écrits, par ses images.

Et même si ce n'est qu'un roman, et qu'en réalité ces femmes n'aient pas du tout réagi comme ça, tant pis. Ça me convient très bien de les imaginer ainsi. J'ai besoin de voir incarnées toutes ces figures. D'ailleurs cela fait bien longtemps que j'ai, moi aussi, ma perception personnelle d'eux. Certains sont pour moi assez proches, quand je lis leurs textes, et surtout leurs écrits personnels, je les imagine parler. Ils ne sont pas toujours sympathiques, mais ce sont devenus des personnes, ce ne sont plus uniquement des noms sur du papier. J'imagine qu'il en est de même pour toutes les personnes qui se plongent dans les archives.

Et donc, cela me permet de rendre hommage à ces femmes passionnées et passionnantes qui gravitent autour de Port-Royal. J'avoue avoir un faible pour ces femmes qui ont donné leur temps, leur vie durant, au service de la mémoire de Port-Royal.

Françoise de Joncoux et Marie-Scholastique de Théméricourt, les copistes infatigables, si tenaces dans leur travail de compilation et de diffusion des écrits de Port-Royal.
Magdeleine Hortemels, la graveuse, qui fixe le quotidien des religieuses pour la postérité.
Marie-Françoise Desprez, qui rachète Port-Royal des Champs comme bien national sous la Révolution et en fait, à nouveau, un lieu de rencontres pour les intellectuels chrétiens de son temps, en pleine tourmente politique et religieuse.
Les sœurs Sophie et Rachel Gillet, gardiennes attentives de la bibliothèque de Port-Royal au XIXe siècle. Ces deux femmes décrites comme des vielles filles jalouses de leurs trésors par Augustin Gazier ont, avec une énergie admirable, conservé, enrichi, gardé, classé, les livres "sacrés" de la mémoire de Port-Royal. Comme mademoiselle de Joncoux en son temps, elles sont la plaque tournante des relations entre port-royalistes de France et de l'étranger.
Et Cécile Gazier enfin, la nièce en apparence effacée mais si vivante d'Augustin Gazier. Elle aussi a fait un travail de classement et de copie absolument incroyable. Disparue en pleine force de l'âge, elle est incontournable dans la vie port-royaliste du début du XXe siècle.

Je pense à ces femmes, jamais admises dans les cercles si masculins de port-royalistes, mais acharnées au travail. Si au XVIIIe siècle elles avaient un rôle reconnu, je suis parfois effarée du sort qui est réservé à madame Desprez, aux sœurs Gillet ou à Cécile Gazier dans les archives port-royalistes. Je ne vais pas faire du féminisme au rabais, mais vraiment, leur rôle est complètement sous-estimé.

C'est un des mérites du roman de Claude Pujade-Renaud que de faire ressortir ainsi quelques figures. Que les intraitables femmes de la famille Arnauld ne soient plus les seules reconnues dans le monde port-royaliste. Qu'on découvre un peu plus ces petites mains, humbles mais passionnées, qui ont permis en très grande part qu'on puisse aujourd'hui lire, travailler, découvrir et aimer Port-Royal et son univers.

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- Claude Pujade-Renaud, Le Désert de la grâce, Actes Sud, 2007.

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